En photographie, le 30 mai 2018, Rencontre sur le thème de la solidarité internationale de la jeunesse.

La vie de Bernard Ravenel, né en 1936, est marquée par un engagement permanent,  comme en attestent sa notice dans le « Maitron » et  la note d’Alain Monchablon pour le Germe. Notons pour ce qui concerne son action étudiante, qu’il fut militant d’abord du PCF puis très vite oppositionnel en son sein sur l’attitude vis à vis de Budapest et de la guerre d’Algérie il adhère ensuite au PSU en 1960. Il fut élu à la vice-présidence intérieure de l’association des résidents (AERUA) pour lutter contre l’OAS à l’intérieur de la Résidence universitaire d’Antony pendant la guerre d’Algérie. Comme il le rappelle dans sa contribution à notre colloque de novembre 2015 sur le logement étudiant (voir ci-après), assez vite l’activité syndicale prolonge l’engagement politique et antifasciste:  création de groupes d’études, par discipline, d’un ciné-club. En 1962-1965, l’activité syndicale fut centrée sur la grève des loyers, puis ce fut la question du règlement intérieur et de la mixité, bien avant le mouvement à Nanterre et que le sujet ne devienne médiatique. Chloé Maurel a pu profiter de ses souvenirs pour écrire son article « Vivre à la cité universitaire d’Antony dans les années 1960» (Les Cahiers du Germe n° 32/2019, p. 57); et en janvier 2018, il y a quasiment 5 ans jour pour jour, il avait confié son témoignage filmé, disponible dans un Extrait de l’archive orale, sur la chaîne Youtube de la Cité des mémoires étudiantes.

Bernard Ravenel avait l’anti-colonialisme et l’internationalisme chevillés au corps, l’ADN de toute une génération.

Robi Morder

LES ANNÉES 68 À LA RÉSIDENCE UNIVERSITAIRE D’ANTONY

Colloque «Logement étudiant, histoire et enjeux actuels», AAUNEF, en liaison avec l’UNEF, avec le concours du Germe et de la Cité des mémoires étudiantes, 7 novembre 2015.

BERNARD RAVENEL

Je suis un petit peu ému de ce que je fais aujourd’hui parce que c’est la première fois que je me remémore des évènements qui datent de 50 ans et que j’en parle. Cela fait réémerger beaucoup de choses, beaucoup de souvenirs, et en fait des années splendides ; pour donner son identité, j’étais étudiant en histoire, j’étais boursier et on avait droit à l’accès à la résidence universitaire d’autant plus que j’avais un critère supplémentaire pour rentrer car je sortais de sanatorium et de postcure. Je suis rentré à la cité en 1960 et j’y ai vécu les « années 68 ». J’étais depuis janvier 1961 secrétaire de la section des étudiants du PSU (environ 30 membres).

Petite présentation du cadre de vie : la Résidence c’est environ 3000 personnes, dont 500 étudiantes, et des jeunes ménages, ce qui est une caractéristique particulière d’Antony. Sur le plan politique, il y avait l’association des étudiants, l’AERUA, avec, pour résumer, une domination communiste pour l’essentiel, en gros 37/38% des voix, la liste PSU-Témoignage chrétien faisait environ 33%, la liste de droite et d’extrême-droite faisait environ 30%. Voilà en très gros le rapport de forces, donc l’association était dirigée par le PC avec le PSU, j’étais vice-président intérieur. J’ai eu d’abord à m’occuper de l’OAS. Ce n’était pas du gâteau, et on n’a pas fait de cadeaux non plus, ça mériterait un développement particulier. Je passe à 1962, en rappelant que pendant la guerre d’Algérie il y avait aussi une répression interne, les meetings étaient interdits. Une fois on avait réussi à faire un meeting extraordinaire avec Simone de Beauvoir. C’était interdit, on était mille, ce qui pour la Résidence est énorme.

Donc, 62-65, l’activité politique demeurait forte, mais l’activité syndicale c’était de parachever l’équipement de cette résidence. Par exemple les crèches qu’on réclamait – on n’ avait pas prévu que les jeuns ménages auraient des enfants…-en fait on assistait à une sorte d’appropriation  par les étudiants de l’espace de la résidence universitaire. On a été beaucoup dans la création de groupes d’études, par discipline, d’un ciné-club, bientôt d’un bar et d’autres lieux de vie culturelle. Alors le règlement intérieur n’était absolument pas appliqué.

1962-1965, l’activité syndicale est centrée sur la grève des loyers, j’en parlerai peu parce que ce n’est pas le sujet mais ce fut une grève assez complexe et qui a été gagnante car la hausse des loyers a été reportée. C’est à partir de là que la FRUF (Fédération des résidences universitaires de France) s’est située, puisqu’elle en avait été le pilote à partir d’Antony.

Parallèlement la vie politique est intense, le PC est particulièrement actif, ses membres (une centaine, répartis dans une cellule pour chaque pavillon ou presque- il y en a 8) se situent dans la ligne du Parti contre l’UEC dont l’organe, Clarté, est de fait interdit de diffusion. Le PSU a du mal à suivre l’activisme du PC, il diffuse assez bien chaque semaine Tribune socialiste et tient régulièrement une table de vente pour les cahiers du Centre des études socialistes qui se vendent très bien. Il a pu dès 1962 organiser une conférence sur le contrôle des naissances, ce qui n’a pas été apprécié par le PC…

Autre manifestation de cette vie politique agitée : Une tentative d’implantation de l’UNR à partir d’une réunion publique avec un député UNR (Mainguy). Après une succession d’interventions hostiles les organisateurs se sentant menacés décident de quitter leur tribune et de s’engagent vers la sortie. Les étudiants excités les suivent dans le couloir qui précède. J’étais en tête du cortège juste derrière les UNR, à quelques mètres, Juste avant d’arriver à la porte, mon voisin, un membre de l’AJS (qui était aussi au PSU) m’interpelle et me dit en guise d’injonction en regardant le député UNR « on le déculotte » ; il était prêt à le faire avec l’aide de plusieurs étudiants. J’ai vraiment eu peur du passage à l’acte, j’ai dis non tout de suite et on a laissé filer les non grata…

Les conséquences de cette histoire ne vont pas se faire attendre. Le ministre de l’éducation nationale, Fouchet, est obligé de réagir. Un » plan d’aménagement complémentaire » est vite décidé. L’enjeu c’était à la fois la répression politique et la répression de la vie personnelle, y compris la répression sexuelle. Il faut articuler ces deux aspects. C’est dans ce contexte là que tout se passe. Tout commence en 1964 mais l’évènement c’est en janvier 1965, appliquant la première phase du plan d’aménagement visant à bouleverser l’agencement interne pour empêcher toute vie politique normale, l’administration enlève deux panneaux dans le restaurant. Alors la colère monte et on fait d’abord une « action commando ». J’en fait partie. A 4 ou 5 on monte dans l’appartement du directeur de la résidence qui était au bout du pavillon, on monte 7 étages, on rentre dans l’appartement du directeur, stupéfié. La femme du directeur a paniqué, paniqué vraiment, un évènement très fort. C’était de l’action directe, et c’était une forme de violence d’une certaine manière, il faut le dire. Le deuxième aspect du plan, le plan de séparation : interdiction de passer d’un pavillon à un autre, etc. Et surtout la loge du pavillon des filles bloque désormais l’entrée de tout le monde, et cette sorte de loge de concierge a provoqué ce qu’il faut bien appeler une sorte d’émeute.

La réaction par rapport à la loge de concierge a été en effet d’une force exceptionnelle, elle a été dirigée par les filles, et entièrement assumée par les filles ; il y avait deux dirigeantes, je me rappelle très bien leurs noms et prénoms : une dirigeante communiste qui s’appelait Monique Chemla et une dirigeante PSU c’était Annette Simon, et ce de façon totalement indépendante de la structure syndicale, et même politique. Un mouvement extrêmement puissant, d’une force extraordinaire. On voyait les filles occuper la résidence, c’était la première fois. Avec un déploiement policier lui-aussi sans précédent. Donc l’occupation de la RUA en 1965 précède et « annonce » l’occupation de la Résidence de Nanterre et de la Sorbonne en 1968…

L’AERUA face au projet de l’administration et du pouvoir, a présenté un contre-projet. On n’a pas dit « contre plan », c’était trop marqué, on a dit contre-projet.  Voilà ce qu’on avait écrit dans le texte : « la vie de la résidence est réglée selon les principes de la cogestion par les représentants de l’administration et les responsables étudiants élus au sein de leur association, ceci implique une participation effective des résidents à l’élaboration et à la prise de décision et ce dans tous les domaines ». Donc, dès 1965 on pose le problème du pouvoir étudiant.  Je crois que c’est un deuxième élément qu’il faut poser dans ces termes là.

Pour conclure un premier bilan de cette période, trois points :

  1. Il s’est produit à la RUA Incontestablement un mouvement de masse, les meetings n’ont jamais été aussi suivis. Des meetings de 400 à 500 en une semaine, on a fait 4 meetings dont un transfert de meeting à la Sorbonne. Je me rappelle, Olivier Todd (le père de l’actuel) journaliste à l’Obs était présent. Et il me dit « je n’ai jamais vu ça ».
  2. C’est un mouvement animé par les jeunes filles contre la répression sexuelle.
  3. Le syndicat est débordé, il ne contrôle rien du tout, les organisations politiques aussi…

Alors bien sur il y a eu une répression. 7 étudiants ont été expulsés. Il y avait une juridiction universitaire, un des juges avait dit « il faut protéger les jeunes filles contre les étudiants africains et algériens ». Voilà le climat.

Pour terminer, moi je considère que ce qui s’est passé à Antony en 1965 a été un affrontement majeur entre un mouvement de masse étudiant et le pouvoir politique. Ce fait est beaucoup moins connu que ce qui s’est passé à Nanterre en 67/68, mais c’est peut-être là à Antony que commence quelque part, un peu, 68.

Sources :

Bernard Lacroix (pseudo de Bernard Ravenel) « Quand le pouvoir s’occupe des étudiants », l’Action, novembre 1964.

Frédéric Gaussen, « La Résidence d’Antony, le plan d’aménagement soulève de vives critiques parmi les étudiants », Le Monde, 5 février 1965.

Jean Tercé, « Antony, folklore étudiant ou syndicalisme ? » Tribune socialiste, 23 octobre 1965.