Les obsèques de Tony Dreyfus ont eu lieu le 5 mai 2023 au cimetière Montparnasse à Paris. Une foule nombreuse, avec nombre d’anciens de l’UNEF et une délégation de notre association était rassemblée. Voici le texte du discours que Dominique Wallon, président de l’UNEF en 1961/1962 a prononcé aux obsèques de Tony Dreyfus, qui était alors dans le bureau national vice-président adjoint à la communication. On trouvera après ce texte une brève note biographique et en téléchargement un texte de Pierre-Yves Cossé. Photo de Michel Langrognet, prise en 2019, à l’Hotel de Ville de Paris.

DOMINIQUE WALLON. Tony, c’est évidemment une longue histoire d’amitié, née en 1955/56 au lycée Janson de Sailly entre trois copains, Tony, Didier Lancien et moi, mendésistes,  qui ne savent pas qu’ils seront dans peu d’années, élus au bureau national de l’UNEF, Didier dès 1958.

A Sciences Po, avec l’arrivée d’André Larquié un nouveau trio se constitue autour de l’Amicale de Sciences-Po et des actions contre la guerre d’Algérie.

En 1961/62 nous serons tous trois au bureau de l’UNEF, Tony à la communication, André aux relations internationales et moi à la présidence. Tony sera aussi l’homme des négociations, en particulier avec le préfet de police, Maurice Papon, pour les manifestations de février 1962, révélant un talent que saura ultérieurement si bien exploiter Michel Rocard.

Ce n’est sans doute pas un hasard non plus si nous adhérons à peu près en même temps au PSU, et travaillerons avec Michel Rocard, ni si nous sommes tous les trois candidats du PSU aux législatives de 1968. Tony fera une brillante campagne à Paris dans le 18ème, avec un score supérieur à 9%.

Le printemps 1968, ce sera aussi le mariage de Tony et Françoise, l’officialisation d’un grand et durable amour, et le début d’un soutien essentiel pour le succès du parcours électoral et politique de Tony, qui sera le seul du trio à prolonger l’expérience de juin 68.

Nos chemins se sépareront donc, mais si peu car Tony, et Françoise, resteront des amis tellement proches et mon fils et sa compagne comptent leurs garçons comme leurs meilleurs amis. Tony sera toujours attentif à l’évolution de ma vie, de ma carrière, ayant toujours pour moi des ambitions démesurées, comme de m’inciter à devenir le conseiller économique de François Mitterrand, conseil que j’ai eu la sagesse de ne pas suivre…

Cette relation amicale, si affectueuse et attentive, sera aussi, et plus proche encore, celle qui le liera à André Larquié, qu’il appelait au téléphone plusieurs fois chaque semaine, jusqu’à son décès il y a trois ans.

Revenant sur le passé, il est évident que je dois aussi parler d’une autre personne, essentielle, le père de Tony et Sylvie. J’ai d’abord connu Monsieur Dreyfus à Rome, à Pâques 1956, où Didier et moi étions en campeurs, lorsque nous rencontrons Tony et Sylvie avec leur père. Ce fut une soirée splendide, tournée en calèche, dîner, bar où nous avons la  bière, bue dans une botte italienne de 1 litre. Je ne sais plus si Didier et moi avons bue, comme son père, une ou deux bottes, mais je suis sûr que Tony ne nous a pas suivis…

Grâce à Tony, j’ai pu fréquenter son père, qui était un homme  exceptionnel, gaulliste à Alger il avait été envoyé en mission dans la Corse libérée. Veuf très tôt, Tony n’avait que 5 ans et Sylvie pas encore 4, il était un père tellement proche de ses enfants et aussi de leurs amis, d’une générosité formidable.

Monsieur Dreyfus avait un appartement avenue du Président Wilson où habitaient les deux enfants, où j’étais invité à volonté le dimanche pour un dîner froid et une partie de cartes. Cet appartement était devenu un lieu recherché par quelques autres membres du bureau de l’UNEF et un soir nous sommes arrivés à quelques-uns pour saluer Tony, dont la femme de ménage nous a dit qu’il n’était pas seul. L’un de nous, qui sera plus tard lui aussi ministre, a entonné, un peu comme Jean Gabin dans La Traversée de Paris, « FFL, on veut voir FFL ! ». La proximité de Françoise et Tony, avant leur mariage, était évidemment bien connue de nous, mais nous sommes repartis, pas forcément très fiers, sans avoir pu les saluer.

Je crois que Tony, comme Sylvie, a hérité de beaucoup des qualités de son père, dont je garderai toujours le souvenir de la tendresse de son attention à ses enfants et à leurs amis. C’est cette attention fidèle et affectueuse, cette générosité que j’ai retrouvées chez Tony. J’ai toujours pensé que, au fond, Tony avait lui aussi des trésors de tendresse que sa discrétion, sa pudeur lui interdisaient de manifester directement. Je ne suis pas sûr que tous les anciens du PS qui ont eu à négocier avec Tony partagent ma conviction que Tony était un tendre qui voulait se présenter comme un dur, et pouvait y arriver parfaitement.

Au cours de ces derniers mois, la fragilité de Tony s’accompagnait d’une grande gentillesse, « la tendresse », à l’égard de ses visiteurs. J’avais l’impression de l’aimer comme jamais et je garderai toujours en mémoire ses derniers mots lors de notre échange téléphonique d’il y a deux semaines, formule passe-partout d’un homme politique, mais surtout rappel d’une pratique courante de cet ami exceptionnel « Tu m’appelles demain matin ».

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Tony Dreyfus, qui vient de disparaître, appartenait à la génération algérienne de l’UNEF. Né en 1939, étudiant à Sciences Po, il fut en 1961-1962 vice-président adjoint du bureau de l’UNEF, aux côtés de Michel Langrognet qui était le vice-président à l’information, le bureau national était alors présidé par Dominique Wallon. À ce titre, il contribua à la brochure de l’UNEF recueillant des témoignages sur le massacre du 17 octobre 1961, et représentait l’UNEF dans la préparation de la manifestation intersyndicale du 8 février 1962 contre l’OAS, qui se termina tragiquement.
Devenu avocat, membre du PSU puis du PS, il se qualifiait lui-même de « bourgeois mendesiste ». Il demeura dans la mouvance rocardienne, étant notamment secrétaire d’État dans le gouvernement Rocard en 1988-1991, puis député de Paris et maire du 10e arrondissement.
Au moment des négociations de Dôle (1), en sa qualité d’avocat de la CFDT dans l’affaire Lip – dont on commémore le cinquantenaire – en 1973-1974, il a le contact avec le médiateur nommé par le gouvernement et joue un rôle certain dans la négociation (2).
Il était membre de l’association des Anciens de l’UNEF, et avait notamment participé au colloque de 2012, « l’UNEF et la guerre d’Algérie ».
Robi Morder & Alain Monchablon
(1) « Lip, le 29 janvier 1974, les accords de Dôle » https://autogestion.asso.fr/lip-29-janvier-1974-les…/
(2) Frédéric Ploquin et Eric Merlen, Secrets d’avocats, Paris, Fayard 2012